Le Livre des Adieux à París

Joseph Anton SOLDEVILA – Le Livre des Adieux*

Par: Nathalie‐Noëlle Rimlinger

Ce qui est important dans ce livre, c’est l’état de crise humaine.
Une crise violente, implacable, qui entraîne une séparation d’avec l’autre moitié, irrévocable, jusqu’à l’adieu.
Commence alors une descente en soi‐même comme chez Dante, la Divine Comédie, un voyage vers l’enfer.
Mais je n’ai pas pensé toute seule à Dante, Franz Litz, le musicien, m’y a aidée, qui après un long chemin de création, fort de sa maturité, a manifesté la nécessité d’écrire les « Années de Pèlerinage», traversée d’espaces intérieurs à partir de l’amour que Dante, Pétrarque, ont inspiré. Et le même texte de Dante insufflait à Victor Hugo un poème, comme si les artistes et tous les hommes rencontraient cette crise d’une quête d’eux‐mêmes et de vérités.
Si ces références littéraires sont classiques, c’est que le thème abordé par Soldevila est cousu à l’expérience humaine depuis que l’homme est homme, expérience toujours renouvelée qui flèche un parcours à accomplir lorsqu’un travail de l’âme doit se réaliser, comme si l’âme à un momento donné exigeait que l’on largue une partie en soi‐même.
Etapes douloureuses, inacceptables, ressenties comme injustes. Celle d’un regard à découvrir, à distinguer de l’amour passion, l’amour charnel, l’amour de l’amoureux, par lequel l’auteur constate que s’il est indispensable à l’homme d’aimer, quelque chose s’effectue dans l’amour, comme une perte, qui rend seul, vulnérable, exilé… L’amour se transforme en perte, et l’autre, avec lequel s’était si bien révélé le secret de l’intimité que l’on tenait pour éternel, subit le sort d’être rejeté pour cause de son éloignement. Et comme toujours on se demande qui quitte l’autre. Le livre des Adieux, ce livre de la crise, comporte trois parties: D’abord la douleur, La décision, L’exil.
J’évoquais la Divine comédie car de même s’entreprend un voyage où il s’agit par cercles
concentriques de pénétrer l’enfer, de traverser le purgatoire. Et c’est bien ce trajet qu’entreprend notre auteur, qui s’éloignant, chemine sans trêve et sans merci et constate ses transformations, mais sans espoir de lumière, et sans lueur de paradis. Sans se gracier un seul instant, ni l’autre non plus.
Chemin sans retour, où l’adieu résonne pourtant comme un appel au secours où filtre par une insistante adresse à l’autre, témoin du vertige entamé, le feu d’une passion qui se cogne à ellemême, d’un désespoir qui tire vers le pire.
Pour ne pas citer le poète, car vous allez l’entendre somptueusement, je vais vous lire pour illustrer mon propos, le texte de Victor Hugo, deux lignes de Dante, puis un sonnet de Pétrarque… Mais avant, je voudrais m’arrêter un instant sur le style de Soldevila fait d’images d’une incroyable forcé d’évocation, pénétrantes par leur précision piquante d’universalité, dans ce texte déroulé comme un monologue. Et c’est là, dans cette écriture tissée d’images que je trouve beaucoup de tendresse et même de l’amour. Ces images savent nous émouvoir parce qu’elles sont en nous. Elles s’enchainent ici, avec l’évidence de la subtilité. Nous pouvons saluer l’esthétique fine du poète, Soldevila, virtuose, et le placer parmi les grands. De cette tendresse discrète, ténue de l’enfance plongé dans le rêve, nous émergeons dans l’âge adulte, avec ce destin commun à tous, d’avoir à perdre sa vision d’un amour immuable, parce que le paradis, ici, se tient derrière, mais qui se retrouvera peut‐être, lorsque la tyrannie de l’amour fusionnel et totalitaire de l’enfance se dissoudra pour laisser place à l’inconnu.
Victor Hugo à propos de Dante
« Quand le poète peint l’enfer,
Il peint sa vie.
Là sont les visions, les rêves, les chimères,
Les yeux que la douleur change en source amère
Puis la pâle misère au sourire appauvri,
L’ambition, l’orgueil de soi‐même nourri
Et la luxure immonde et l’avarice infâme,
Tous les manteaux de plomb dont on peut se charger l’âme.
Et puis plus bas encore et tout au fond du gouffre,
Le masque grimaçant de la haine qui soufre. »
De Dante, deux lignes :
« L’amour, couple enlacé, triste et toujours brûlant ».
Plus loin : « Abandonnez toute espérance. »
Maintenant, un sonnet de Pétrarque, poète italien du 14ème sièle
« Je ne puis trouver la paix
Et je n’ai pas de quoi faire la guerre
Et je crains et j’espère
Et je brûle et je suis de glace
Et je vole au‐dessus du ciel
Et je rampe sur la terre
Et je ne saisis rien
Et j’embrasse le monde entier.
Quelqu’un m’a mis dans une prison
Qu’il ne m’ouvre, ni ne me ferme
Et sans me retenir pour sien,
Il ne détache pas mes liens
Et amour ne me tue pas
Ni ne m’ôte mes fers
Et il ne me veut pas vivant
Et il ne me tire pas d’embarras.
Je vois sans yeux, je n’ai pas de langue
Et je crie et je désire mourir
Et je demande secours
Et je me hais moi‐même
Et j’aime autrui.
Je me repais de douleur
en pleurant je ris également
Me déplaisant la mort et la vie
Voilà mes tares, madame,
Où par vous je me trouve. »
Nathalie‐Noëlle Rimlinger, París, Novembre, 2011


Texto de la escritora, editora, pintora y escultora Nathalie-Noëlle Rimlinger, con motivo de la presentación de la traducción francesa de  El Llibre dels Adéus (Le Livre des Adieux) de Josep Anton Soldevila  en la Galería de Arte Terres d'Aligre, de París, el pasado 17 de noviembre.  

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